Cyberintimidation: la reconnaître, la comprendre et la prévenir
- Par
- Danielle Dutrisac, rédactrice en chef
Ceci est le premier texte d’une série de trois qui ouvre notre grand dossier qui porte sur l’intimidation. Ici nous aborderons plus spécifiquement la question de la cyberintimidation. Comment intervenir? On retire le cellulaire ou pas? L’ordinateur dans la chambre à coucher de mon enfant, est-ce une mauvaise idée? Tik Tok, VCSO et Yubo: pourquoi ces applications sont-elles si populaires auprès des jeunes? Pour répondre à ces questions et bien d’autres, nous nous sommes entretenus avec les plus grands spécialistes du moment et fouillé les plus récentes études.
La cyberintimidation, pour en finir une fois pour toutes
Contrairement à la croyance populaire, le phénomène de la cyberintimidation ne connait pas de recrudescence et les études démontrent qu’il a plutôt tendance à se stabiliser. Pourtant, la croyance populaire est que la cyberintimidation est un réel fléau qui va en augmentant. «Malgré le fait qu’il y a plus d’enfants qui ont accès à des appareils électroniques, le phénomène de la cyberagression n’a pas augmenté et ça, c’est un message très important à passer. Le problème c’est que quand les résultats de mes recherches n’annoncent pas une augmentation, les médias ne s’intéressent pas à la nouvelle.»
-Claire Beaumont, Ph.D. Professeure titulaire de la Chaire de recherche Bienêtre à l’école et prévention de la violence, Faculté des sciences de l’éducation, Université Laval.
Alors, pourquoi en parler?
Parce que l’intimidation en ligne s’immisce partout et que les victimes sont «attaquées» sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Le phénomène est très répandu auprès des adolescents, mais des enfants aussi jeunes que 12 ans en sont victimes.
Les parents jouent un rôle déterminant dans la lutte à l’intimidation, c’est ce qu’affirment tous les experts que nous avons consultés. «Les parents, les élèves et les membres de l’équipe-école; tout le monde est responsable, mais l’instance suprême dans le trio ce sont les parents. Ils ont un rôle essentiel à jouer et l’éducation qu’ils font à la maison est fondamentale, affirme Marc Tremblay, directeur du Collège Reine-Marie, à Montréal.»
Cyberintimidation: testez vos connaissances
Jeu-questionnaire
Voici un mini jeu-questionnaire sous forme de 3 mises en situation qui vous aideront à bien comprendre comment votre enfant peut être exposé à la cyberintimidation.
Répondez oui ou non après chaque mise en situation.
Il n’y a pas de mauvaises réponses, seulement une occasion de s’informer davantage.
«On peut dire à des jeunes qu’on ne souhaite plus qu’ils communiquent via les médias sociaux, que nous ne voulons plus qu’ils soient amis sur Facebook ou sur Instagram ou qu’ils s’adressent la parole sur l’heure du dîner. Ça peut aller jusqu’à rediriger un enfant vers une autre école.»
-Marc Tremblay, directeur du Collège Reine-Marie
Intimidation et cyberintimidation: bien les identifier
La cyberintimidation: intimider via les technologies de l’information et des communications (TIC).
Tout comportement, parole, acte ou geste délibéré ou non à caractère répétitif, exprimé directement ou indirectement, y compris dans le cyberespace, dans un contexte caractérisé par l’inégalité des rapports de force entre les personnes concernées, ayant pour effet d’engendrer des sentiments de détresse et de léser, blesser, opprimer ou ostraciser.
CYBERINTIMIDATION | |
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COMPOSANTES | Geste ayant pour effet d’engendrer des sentiments de détresse et de léser, blesser, opprimer ou ostraciser. Inégalité des rapports de force. Caractère répétitif s’échelonnant sur une certaine période de temps. |
MOYENS | Usage des technologies de l’information et de la communication: TIC (ex.: cellulaire, ordinateur, Internet, réseaux sociaux). |
FORMES | Insultes, menaces proférées directement à quelqu’un (cellulaire, texto, logiciels de communication tels que Facetime ou Skype, etc.). Rumeurs, dénigrement, isolement, insultes ou menaces proférées indirectement à quelqu’un (réseaux sociaux, blogues, etc.). |
Des effets dévastateurs pour l’avenir
Instagram, Snapchat, Tik Tok, VSCO et Fortnite sont quelques-unes des voies par lesquelles des photos, des vidéos et des commentaires haineux sont publiés et l’effet peut être dévastateur.
«Le fait d’avoir été intimidé augmente de 40% le risque d’être victime d’une maladie mentale à l’âge de 25 ans, écrit Dre Emma Gorman de l’Université de Sydney, et de 35% le risque d’être au chômage. »
–Portrait de la violence dans les écoles du Québec. (2014)
Cellulaire, tablette, iPod, télévision intelligente, jeux de console; en 2020, la très grande majorité de la population est connectée et nos enfants n’y échappent pas.
Selon l’enquête québécoise Portrait de la violence dans les écoles du Québec, les jeunes du primaire de 4e, 5e, 6e année disaient posséder ou avoir accès à des appareils électroniques pouvant envoyer ou recevoir des messages dans une proportion de 75%. Au secondaire, ce nombre atteint 90%.
«Si je rencontre une jeune élève qui est victime d’intimidation à l’école, je peux être certaine qu’elle va être victime de cyberintimidation, aussi.»
-Cathy Tétreault, directrice et fondatrice du Centre Cyber-Aide
Pourcentage élevé des enfants qui ont accès à Internet sans surveillance
Près de 80% des jeunes du primaire affirment avoir accès à Internet sans surveillance à la maison. Puisque nous en supervisons leur utilisation et que nous réglons les paramètres de sécurité des appareils électroniques que nos enfants utilisent, c’est généralement la conscience tranquille que nous les laissons naviguer sur le Web.
Pourtant, les jeunes de moins de 25 ans, notamment les filles et les enfants âgés de 11 à 13 ans, sont plus fréquemment la cible de comportements d’intimidation en ligne.
Mon enfant commet-il des gestes d’intimidation sur le Web?
10 comportements à proscrire sur Internet
- Envoyer des messages offensants et parfois même menaçants par courriel ou messagerie texte.
- Faire du commérage, répandre des rumeurs ou révéler les secrets d’une personne dans le but de nuire à sa réputation.
- Usurper un compte de courriel et envoyer des messages offensants à des personnes au nom du propriétaire de ce compte.
- Créer des blogues ou des sites Internet pour y publier des histoires, des BD, des images et des farces dans le but de ridiculiser des personnes.
- Créer un groupe de sites Internet demandant aux internautes d’attribuer une note aux gens en évaluant de manière négative certains aspects de leur personnalité.
- Avec une caméra numérique, prendre une photo gênante d’une personne pour ensuite la faire circuler par courriel et la montrer aux autres.
- Entretenir une relation par messagerie instantanée avec une personne dans le but de lui soutirer des renseignements personnels pour ensuite transmettre cette information à d’autres.
- Utiliser le mot de passe d’une personne afin de modifier son profil et y ajouter un contenu sexiste ou raciste pouvant offenser les autres.
- Afficher en ligne des messages offensants ou mensongers sur les babillards et dans les forums de discussion.
- Exclure délibérément le nom de certaines personnes des listes de contact de courriel ou de messagerie instantanée.
10 signes que votre enfant est victime de cyberintimidation
- De nouveaux numéros de téléphone, de nouvelles adresses courriel ou des nouveaux textos commencent à apparaître dans le téléphone de votre enfant, dans son ordinateur ou autre appareil électronique.
- Il semble chamboulé, en retrait ou est anxieux après avoir reçu des courriels, ou des messages textes.
- Il commence à éviter les activités sociales ou s’éloigne de sa famille et de ses amis.
- Il semble plus triste, frustré, impatient ou en colère qu’à l’habitude.
- Il va à l’école sans entrain ou refuse tout simplement d’y aller.
- Il commence à éviter d’utiliser son appareil mobile ou son ordinateur. Ou Bien il commence à passer beaucoup de temps à envoyer et recevoir des messages textes et est plus actif sur les médias sociaux.
- Il bloque soudainement un ou plusieurs numéros de téléphone, ou adresses électroniques dans ses comptes Internet ou son courriel.
- Il se fait de plus en plus discret au sujet de ses activités sur Internet. Il évite les discussions qui portent sur son ordinateur ou son téléphone intelligent.
- Il a de la difficulté à dormir et il a moins d’appétit.
- Il supprime subitement ses profils et comptes de réseaux sociaux.
«L’erreur est de croire que les 4e, 5e et 6e années sont trop jeunes pour faire des bêtises sur les réseaux sociaux.»
-Cathy Tétreault, directrice et fondatrice du Centre Cyber-Aide
3 façons d’intervenir en cas de cyberintimidation
1- Soyez toujours à l’écoute de votre enfant ou de votre ado et prêt à prendre sa défense. La cyberintimidation peut rapidement dégénérer, elle exige une intervention rapide de la part d’un adulte.
2- Gardez toujours une copie ou un relevé des courriels, des clavardages, des contenus affichés sur le Net et des messages téléphoniques que vous pourrez présenter à votre fournisseur de services Internet ou à la police, au besoin.
3- Tout incident de cyberintimidation doit être signalé à la direction de l’école et à votre fournisseur de services Internet. Les commissions scolaires ont adopté des codes de conduite en matière de cyberintimidation.
Retirer le cellulaire: oui ou non?
«Les enfants, tant ceux du primaire que ceux du secondaire, victimes de cyberintimidation ne le disent pas à leurs parents par crainte que ceux-ci leur retirent leurs appareils. Les adultes n’ont pas une très bonne compréhension de l’importance et de la place que le cyberespace prend dans la vie d’un jeune aujourd’hui, mais ça fait partie de sa vie», affirme Claire Beaumont, Ph.D.
Un parent averti en vaut deux
7 applications que vos jeunes utilisent et que vous devez connaitre
Instagram, Snapchat, TikTok, VSCO, Yubo, Facebook (Messenger) Fortnite; toutes ces applications font partie du quotidien de nos enfants et de nos adolescents. Puisqu’il s’agit essentiellement d’applications qui permettent la publication de photos et de vidéos, elles sont toutes à risque de générer de la cyberintimidation.
La cyberintimidation s’immisce dans la vie de nos jeunes via les applications qu’ils affectionnent le plus. Le prochain tableau est un résumé des applications les plus populaires auprès des jeunes.
1- Instagram
(lancée par Facebook en 2010)
Qu’est-ce que c’est?
- 1 milliard d’utilisateurs dans le monde.
- L’application la plus populaire auprès des jeunes.
- Plateforme où la photo et la vidéo sont à l’honneur.
À noter: les jeunes aiment particulièrement y suivre des vedettes des réseaux sociaux: Noémie Lacerte, Alicia Moffet, la famille Kardashian, Kylie Jenner, David Walbridge, Cutiepie (100 millions d’abonnés).
2- Snapchat
(2011)
Qu’est-ce que c’est?
- + de 300 millions d’utilisateurs dans le monde.
- Presque aussi populaire qu’Instagram.
- Très populaire pour envoyer des autos-portraits (selfies).
- Permet d’envoyer des messages avec des images ou vidéos qui s’autodétruisent au bout d’une seconde.
- Possède un détecteur de présence pour discuter en direct via caméra interposée.
- Les lentilles permettent aux utilisateurs d’ajouter des masques de réalité augmentée à leurs photos et vidéos.
- Les jeunes utilisent les filtres pour améliorer leurs photos qu’ils publient sur Instagram par la suite.
À noter: les jeunes font moins attention à ce qu’ils publient parce que les photos «disparaissent» rapidement. (Crée un faux sentiment de sécurité parce que tout ce qui est publié sur le Web reste sur le Web.)
3- Tik Tok
(2016 – anciennement Musical.ly)
Qu’est-ce que c’est?
- + de 500 millions d’utilisateurs dans le monde.
- Plateforme très populaire surtout auprès des jeunes filles (9-10 ans).
- Elles peuvent enregistrer des vidéos sur de la musique et imiter leurs chanteuses préférées.
- On y publie des vidéos caractérisées par l’humour noir.
- Les VSCO girls sont très populaires*. (voir l’application VSCO plus bas).
À noter: les vidéos peuvent être remontées et partagées de façon à dénigrer ou ridiculiser la personne.
*Une VSCO girl est une jeune fille qui affiche un certain style inspiré de l’application VSCO: habillement, style de consommation et façon de publier sur les réseaux sociaux.
4- VSCO
(2011)
Qu’est-ce que c’est?
- + de 2 millions d’utilisateurs dans le monde.
- Application pour embellir les photos, ajouter un filtre, ajouter un texte.
- Créer des vidéos, des photos ou des GIF’s*.
- Possibilité pour les usagers de communiquer entre eux.
À noter: les jeunes utilisent VSCO pour créer des vidéos et embellir des photos avant de les mettre sur Instagram.
*GIF: très utilisé dans les réseaux sociaux, un GIF est une série d’images saccadées de quelques secondes qui jouent à répétition.
5- Yubo
(2015 – anciennement Yellow)
Qu’est-ce que c’est?
- 10 millions d’utilisateurs dans le monde – 70% des ados (13 et 17 ans).
- En baisse de popularité, mais toujours présent.
- À la base, Yellow était une application utilisée pour se faire de nouveaux ami.e.s, mais elle est rapidement devenue un site de rencontres.
- Surnommé le « Tinder » des ados. (site de rencontres pour adultes).
À noter: les jeunes peuvent échanger des photos compromettantes qui peuvent ensuite être partagées sur les réseaux sociaux les exposant ainsi, en ce qui concerne les filles, au phénomène du slut shaming dont nous reparlerons plus en détail dans notre prochaine publication.
6- Facebook/Messenger
(2004)
Qu’est-ce que c’est?
- 1,3 milliard d’utilisateurs dans le monde.
- En perte de popularité auprès des jeunes qui lui préfèrent Instagram.
- Messenger Kids*, version complètement gérée par les parents.
- Plateforme qui permet de se faire des ami.e.s, d’échanger des messages et des photos.
À noter: les jeunes n’y vont plus que pour contacter la famille parce que Facebook est devenue l’application de leurs parents ou de leurs grands-parents.
7- Fortnite – jeu de console
(2017) gratuit
Qu’est-ce que c’est?
- Plus de 200 millions de joueurs à travers le monde.
- En bref, c’est une bagarre en ligne massive où 100 joueurs sautent d’un autobus volant sur une petite île puis se battent jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un joueur.
À noter: des amis d’école jouent ensemble le soir. L’un d’eux peut devenir une cible et recevoir des insultes ou des menaces ou être exclu du groupe sans aucune raison ou selon sa performance au jeu.
«En 2017, Facebook a créé Messenger Kids pour se donner bonne conscience, mais la réalité, malheureusement, c’est que les parents choisissent presque toujours de créer un compte Facebook “régulier” pour leurs enfants. Avoir un compte Facebook avant l’âge de 14 ans demeure illégal»
– François Charron, chroniqueur techno – Salut, Bonjour! TVA
Les jeunes de plus en plus violents, vraiment?
Nous avons regardé de près le phénomène de la cyberintimidation et nous avons observé que quand il s’agit d’intimidation ou de cyberintimidation les mots «fléau» de «de plus en plus» sont souvent utilisés, mais la violence chez les jeunes a-t-elle tendance à augmenter avec les années? «Non seulement la violence chez les jeunes n’augmente pas avec les années, mais nos recherches nous indiquent qu’elle diminue.»
– Claire Beaumont
La chercheuse et son équipe pilotent l’enquête Portrait de la violence dans les écoles du Québec depuis 2012. Elle réitère: «Malgré le fait que le nombre de jeunes qui possèdent un appareil électronique ait vraiment éclaté, le phénomène de la cyberagression n’a pas augmenté.»
La chercheuse conclut: «On ne dit pas que ça n’existe pas. Ça existe, mais pourquoi devrions-nous nous attarder seulement aux phénomènes qui se détériorent?»
Même si les efforts pour contrer l’intimidation en ligne ont donné des résultats positifs au cours des dernières années, il est primordial de continuer le travail de prévention et d’intervention.
Parce que la cyberintimidation, qu’elle soit subie ou initiée est grave et elle mérite toute notre attention.
À retenir
- Si un enfant est victime d’intimidation à l’école, il y a d’énormes risques qu’il le soit de façon virtuelle, aussi.
- En tant que parents, nous devons apprendre à nos enfants à être des cybercitoyens responsables.
- Même si vous activez toutes les options de sécurité sur les applications que vos enfants utilisent, toutes les photos, les vidéos ou les messages qu’ils publient restent accessibles sur Internet.
- Si l'enfant veut jouer à se filmer en chantant, par exemple, qu’il utilise la caméra du cellulaire. Mais dès qu’il envoie cette vidéo ou cette photo à un ami, il s’expose à de la cyberintimidation.
- Publier des photos ou des vidéos compromettantes d’un mineur est un acte criminel et est passible de représailles judiciaires.
Références
- Rapport du Comité d'experts sur la cyberintimidation.
- Portrait de la violence dans les écoles du Québec.
- Dr. Emma Gorman and Professor Ian Walker, of the Lancaster University Department of Economics, along with research partners Silvia Mendolia, of the University of Wollongong, and Colm Harmon and Anita Staneva, of the University of Sydney.
- Portrait de la violence dans les écoles du Québec. (2014)
- PREVnet
- ibid
- Portrait de la violence dans les écoles du Québec.
- Image logo Yubo
- Image logo VSCO
- Image logo Fortnite
Bibliographie
Petite encyclopédie de l’enseignant efficace -Égide Royer
Jeunes connectés, parents informés -Cathy Tétreault
Ressources pour vous et vos enfants
En tout temps, 24 heures par jour et 7 jours par semaine, vous trouverez un soutien professionnel gratuit.
Ce site aide les ados à bloquer la propagation de photos et de vidéos à caractère sexuel et les accompagne en cours de route.
Centre intégré de santé et services sociaux du Bas-St-Laurent (Québec). Un site web où plusieurs thèmes qui affectent les jeunes sont abordés.
De la consultation 24/7, en ligne ou par téléphone. C’est sécuritaire, privé et sans jugement.
Site web dont la mission est de sensibiliser, d’outiller et de favoriser l’acquisition de nouvelles connaissances auprès de la collectivité, tout spécialement les adolescents, les parents et le personnel scolaire.
— Dernière mise à jour: 10 mars 2020