Cyberintimidation sexuelle: sexting et slut shaming 101

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Le sexting et le slut shaming; comme parent, il peut être difficile de comprendre ces comportements. Ce deuxième article d’une série de trois qui porte sur l’intimidation aborde un sujet tabou, mais essentiel: la cyberintimidation sexuelle.

Comment accompagner et aider mon enfant qui en est victime ou qui participe au phénomène? Comment établir des limites saines en lien avec l’utilisation des nouvelles technologies? Tous les spécialistes à qui nous avons parlé sont du même avis: la cyberintimidation sexuelle touche plusieurs jeunes et il est de la responsabilité de tous, parents et équipe-école, de faire œuvre d’éducation.

Guide de survie pour les parents

Le sexting et le slut shaming: deux mots qui génèrent de l’incompréhension chez les parents et de la honte et de la détresse chez les enfants qui en sont victimes. Mais qu’est-ce que c’est exactement? Comment intervenir auprès des victimes? Et comment inculquer des comportements responsables à nos enfants sur Internet? Des experts se prononcent.

«Traiter la jeune fille de putain parce qu’elle a accepté d’envoyer des photos intimes d’elle-même, c’est ça, le slut shaming.»

-Cathy Tétreault, directrice et fondatrice du Centre Cyber-Aide

Le sexting est une pratique courante chez certains adolescents et elle peut engendrer ce que l’on appelle le slut shaming. Il n’y a pas de réelle traduction en français pour l’expression, mais il s’agit de dégradation et d’humiliation sexuelle sur le Web.

Les filles sont ridiculisées pour leur apparence, leur habillement et leur niveau présumé d’activité sexuelle.

Une recherche sur la cyberintimidation menée par l’Université de Montréal sur près de 4000 élèves de la région de Montréal a démontré que les filles étaient plus susceptibles que les garçons de manifester des comportements suicidaires après avoir souffert de cyberintimidation.

«Quand on parle de sextos et de sextorsion* ce sont souvent les filles qui sont accusées. Ce sont les corps des filles qui se promènent partout sur Internet et on dit que c’est leur faute parce qu’elles n’auraient pas dû envoyer des photos.»

 -Claire Beaumont, Ph.D. professeure titulaire de la Chaire de recherche Bienêtre à l’école et prévention de la violence, pavillon des sciences de l’éducation de l’Université Laval.

*Sextorsion: tenter d’obtenir des objets ou des faveurs sous menace de publier des images intimes de la victime si elle n'obtempère pas.

Le fait d’humilier (sur le Web) est l’une des formes de harcèlement sexuel les plus courantes utilisées par les étudiants de la première à la cinquième secondaire.

Comment se manifeste le slut shaming?

Deux mises en situation pour y voir clair

1- Le grand amour de Julien et Alice

Julien et Alice sont amoureux et leur relation est, à l’image des amours d’adolescents, très passionnelle. Les deux tourtereaux filent le parfait bonheur et chacun est convaincu que cet amour durera pour la vie!

Julien et Alice s’envoient mutuellement des photos osées; c’est ce que l’on appelle le sexting. C’est l’étape qui précède bien souvent le slut shaming.

Une rupture et c’est la catastrophe!

Julien et Alice rompent et à la suite de cette rupture, arrive le slut shaming. Julien, pour se venger, publie les photos d’Alice sur Instagram. Les photos circulent et chacun y va de son commentaire dégradant à l’endroit d’Alice*. Alice est dévastée!

*À noter que les garçons peuvent également être victimes de slut shaming, mais ce phénomène est plutôt rare.

2- La confiance mal placée d’Anthony

Anthony et Marie forment un couple depuis peu. Curieux de tenter une nouvelle expérience, Anthony décide, à l’insu de Marie, de filmer des moments intimes qu’ils ont ensemble.

Anthony envoie cette vidéo à son meilleur ami, Thomas, en qui il a totalement confiance. Pourtant, Thomas ne fait, ni une ni deux et publie la vidéo sur les réseaux sociaux*. 

Le cycle des partages de la vidéo est enclenché et la réputation de Marie est trainée dans la boue, lui causant énormément de détresse psychologique.

*À noter que cette pratique est illégale et pourrait être passible de représailles judiciaires pour distribution de pornographie juvénile.

Au Canada, un adolescent peut être tenu responsable des gestes criminels qu’il pose dès l’âge de 12 ans.
-educaloi.qc.ca

Les moins de 12 ans sont aussi à risque

«Les derniers travaux que nous avons faits à la Chaire en décembre 2018 ont révélé que 12% des jeunes du secondaire se sont fait demander d’envoyer une photo ou une vidéo intime d’eux- mêmes, soutient Claire Beaumont. De ce nombre, 20% ont accepté de le faire.»

La chercheuse affirme cependant que ce ne sont pas que les ados qui sont concernés. «Ce phénomène se produit plus souvent dans les relations amoureuses entre adolescents de 15-16 ans, mais il y a quand même des jeunes de 12 ans et moins qui ont envoyé des photos intimes d’eux-mêmes.»

-Claire Beaumont, Ph.D.

«Il ne faut pas diaboliser Internet, mais comme parent, nous voyons le risque alors qu’eux ne le voient pas.»

-Claire Beaumont, Ph.D.

Mon enfant est victime de slut shaming: qu’est-ce que je fais?

Premièrement

SE CALMER avant d’intervenir

Il est tout à fait normal de ressentir de la déception, de la colère, de la peur ou de la honte, mais il faut éviter d’intervenir sous l’emprise de ces émotions. Un environnement calme sera plus propice à la communication.

Deuxièmement

Résister à l’envie de punir en confisquant le téléphone

Votre enfant est déjà puni du fait qu’il a probablement subi beaucoup de pression avant de décider d’envoyer la photo ou la vidéo. Lui retirer son téléphone le coupe de son univers et de son réseau d’amis. La chercheure de l’Université Laval, Claire Beaumont explique: «La peur de se faire retirer son téléphone est le premier obstacle qui empêche l’enfant de discuter de ça avec ses parents.»

Troisièmement

Évitez les interrogatoires

Entamez une conversation avec votre enfant en évitant de prendre un ton de style «interrogatoire». La victime a besoin de beaucoup de douceur, d’amour et de compréhension. Surtout, elle a besoin de comprendre pourquoi elle a décidé d’envoyer cette photo ou cette vidéo.

Quatrièmement

Communiquer avec l’école

Informez la direction de la situation afin d’obtenir du support et des conseils sur la prochaine étape à suivre. Il ne s’agit pas d’un jeu, mais bien de distribution de pornographie juvénile dans certains cas.

Tolérance zéro

L’école privée n’est pas en reste; l’intimidation ne discrimine pas et nul n’est à l’abri. Depuis l’avènement de la Loi 56 en 2012, toutes les écoles doivent mettre en place un plan d’intervention visant à prévenir et à combattre l’intimidation et la violence à l’école.

Marc Tremblay, directeur du Collège Reine-Marie, affirme: «Nous sommes une maison d’éducation et nous nous préoccupons toujours de faire de l’éducation tout en communiquant que c’est tolérance zéro.» Il poursuit: «La qualité et l’efficacité d’un plan de prévention et d’intervention contre l’intimidation et la violence à l’école reposent sur la concertation et la contribution de trois partenaires incontournables: les parents, les élèves et les membres de l’équipe-école.»

«Nous prenons ça très au sérieux et dans certains cas, la police est impliquée.»

-Marc Tremblay, directeur du Collège Reine-Marie, à Montréal.

4 informations à transmettre absolument à votre enfant

1- Même si on supprime le compte, TOUT ce qui est partagé sur Internet RESTE SUR INTERNET et ceci inclut Snapchat qui fait « disparaitre » les photos après quelques secondes.

2- Faire acte de cyberintimidation en insultant, en dénigrant, en menaçant ou en partageant des photos ou des vidéos intimes peut être passible de représailles judiciaires.

3- «La sexualité doit avoir lieu dans le monde réel et JAMAIS dans l’espace virtuel.»

-Cathy Tétreault

4- Dès que votre enfant est témoin ou victime de cyberintimidation, il a le devoir et la responsabilité d’aviser un adulte à la maison ou à l’école.

Trucs pratico-pratiques

Comment agir de façon responsable et sécuritaire sur Internet?

Inculquer des valeurs de respect de soi et de l’autre à un enfant ou un ado n’est pas toujours une mince tâche. Ceux-ci peuvent avoir tendance à rouler des yeux et à laisser sortir de grands soupirs d’exaspération.

Par contre, avoir une pratique saine des technologies et responsabiliser son enfant face à leur utilisation, c’est primordial pour son bien-être et sa sécurité.

Une bonne façon d’attirer son attention est de transmettre le message tout en le faisant participer au processus.

En début d’année scolaire, les écoles présentent un code de vie aux parents et aux élèves et ces derniers s’engagent à le respecter en le signant.

À l’instar des écoles, vous pouvez mettre en place un Code de vie pour l’utilisation d’Internet à la maison et à l’école.

Ce code de vie, que vous signerez conjointement, répondra à deux objectifs:

1- ÉDUQUER sur les bonnes pratiques de l’usage des réseaux sociaux et d’Internet.

2- RESPONSABILISER face à l’utilisation des différentes applications.

Pour vous guider, voici un modèle de code de vie d’utilisation d’Internet pour la famille.

Faire œuvre d’éducation: la clé

L’éclatement des nouvelles technologies nous donne accès à une foule de ressources et d’informations. Lorsqu’elles sont utilisées de façon responsable, elles deviennent un allié positif dans nos vies. Comme parent, il est primordial de faire oeuvre d’éducation envers nos enfants et de leur apprendre les règles de base du civisme.

«Les parents ont la responsabilité d’éduquer leurs enfants sur le respect et la gestion des émotions. On leur apprend à dire bonjour, à remercier, à ne pas dénigrer, à gérer des conflits, mais on ne pense pas à dire que les mêmes règles de civisme s’appliquent quand ils vont sur les réseaux sociaux.»

-Cathy Tétreault, directrice et fondatrice du Centre Cyber-Aide

«L’éducation est vraiment importante, affirme Claire Beaumont. L’enfant ne devrait pas avoir peur de parler de ça à ses parents parce qu’il a peur de leur réaction négative. Il a besoin de leur soutien, de leur écoute et de leur confiance.»

À retenir

  • Connais ton prochain comme toi-même! Le comportement et la personnalité que votre enfant a dans la vie réelle seront transposés dans la vie virtuelle. S’il est colérique, envieux ou s’il se sent en compétition avec les autres dans la vie en trois dimensions, il le sera également dans le monde virtuel. Connaissez bien votre enfant.
  • La curiosité: un atout important! Restez informé sur ce qui intéresse votre enfant. Intéressez-vous aux applications qu’il a téléchargées, questionnez les autres parents; osez être fouineux, c’est la clé!
  • Posez les bonnes questions à votre enfant. Qu’est-ce que c’est que cette application? Tu t’en sers comment? Avec qui échanges-tu des messages, des photos ou des vidéos?
  • Dans le doute, agissez! Fiez-vous à votre intuition de parent et n’ayez pas peur des susceptibilités de vos jeunes ados ou de vos enfants. Il en va de leur bien-être et de leur sécurité.
  • Ce n’est pas parce que ça se passe sur le Web que ça n’existe pas. Défaites-vous de cette croyance trop répandue que si ça se passe dans le monde virtuel, ça n’existe pas vraiment. Les émotions vécues dans le monde virtuel sont très réelles et peuvent avoir de vraies conséquences.
  • L’ordinateur dans la chambre, c’est oui ou c’est non? Fiez-vous au degré de responsabilité et de maturité de votre enfant. Dans le doute, faites un essai, vous verrez si votre enfant est capable d’en faire une utilisation responsable.
  • Vous n’êtes pas seul. L’école de votre enfant peut vous accompagner dans votre démarche. Vous ne devriez pas rester isolé si votre enfant est victime de cyberintimidation sexuelle ou s’il est impliqué dans une chaine de diffusion de messages dénigrants.

— Dernière mise à jour: 10 mars 2020

Biographie

Rédactrice en chef

Journaliste à la recherche depuis plus de 15 ans, Danielle Dutrisac a travaillé pour plusieurs grands médias du Québec (Québecor publications, Radio-Canada, TVA, V Télé, 98,5 ). Curieuse de nature, son parcours l’a menée à explorer plusieurs avenues qui ont nourri son sens de l’aventure et son appétit pour ce qui la passionne: l’humain. Poser des questions, écouter, comprendre et transmettre le message, voilà ce qui nourrit le quotidien de celle qui a fait des études en adaptation scolaire à l’université. Bienveillante et attentionnée, la journaliste n’a qu’un seul objectif: aider les autres à mieux vivre. Crédit photo: Marili Clark

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